samedi 8 avril 2017

Compte rendu de la conférence Transhumanisme - Eugénisme de J.-F. Petit le 17 mars 2017

Compte rendu de la conférence
Transhumanisme - Eugénisme
de J.-F. Petit*
le 17 mars 2017


Le transhumanisme bouscule les balises éthiques, nos représentations et l'idée même de "l'essence de l'homme". Le but de cet exposé est de comprendre et non de juger a priori.
Descartes évoquait l'homme maître et possesseur de la nature (Discours de la méthode). Le transhumanisme est la prolongation de cet effort de maîtrise de la nature par les sciences et les techniques (biotechnologie, neurotechnologie, eugénisme par sélection des gènes, …). Il s'inscrit dans la tradition de la prise en main par l'homme de son destin.
Les biotechnologies sont l'alliance de la biologie et des progrès techniques. Elles concernent un grand spectre de domaines : médecine génétique, conception de la vie, psychologie,  juridiction sur l'identité humaine, convictions religieuses, … La famille, l'école, les autorités morales (églises, …) subissent les effets de ce mouvement. Le thème est porteur.
Pour notre culture humaniste, est-ce une crise? Le transhumanisme est-il une brèche, due à l'utilitarisme actuel dont le but serait d'améliorer, de réparer l'humain? Même la conception de l'espèce humaine est  revue. On peut faire remonter une partie de l’origine de ces idées au choc de la Seconde Guerre Mondiale : le grand penseur scientifique, Albert Einstein, évoque l'extermination scientifique de l'homme, Bertrand Russel l'holocauste nucléaire, Konrad Lorenz l'autodestruction écologique. Merleau-Ponty avait perçu la possibilité de clonage dès cette époque.
Les débats parfois passionnés et difficiles, où sciences et philosophie sont concernées, engendrent deux attitudes :
- une implicite : laisser-faire tout ce que la science peut réaliser,
- l'autre consiste à raisonner uniquement en "permis/défendu".
La première attitude revient à laisser agir le progrès, devenu un  objet d'admiration sans borne. Elle est défendue par certains scientifiques.
La deuxième considère le risque de créer des monstres. Mais tout bloquer n'est pas propice pour avancer. On peut aboutir alors à une diabolisation inconséquente des changements.
D'autres penseurs distinguent "réparer" et "améliorer". Réparer à quel prix? jusqu'où aller? vivre 120 ans? dans quel idéal? avec une retraite de 60 ans? Certains athlètes ont décuplé leurs performances avec des prothèses sophistiquées à la place des jambes. Ils ont marqué l’opinion. Cela nous pose question et impacte nos représentations. La distinction "réparer-améliorer" n'est pas simple.
L'utopie amélioriste est aujourd'hui portée par des sociétés aux intérêts financiers conséquents (Google, …). Elles occupent un vide idéologique (fin des idéologies politiques, du « grand soir »). Leur programme de recherche est précis et clair : la mort devient d’abord un obstacle à résoudre.
Cela est aussi un débat entre technophiles et technophobes. Attention à l'utilisation du principe de précaution !
Ce débat porte sur la nature des désirs des décideurs. Tout  semble reposer sur l'idée de vouloir maîtriser le devenir. Mais il faut aussi une interrogation plus large concernant :
- la nature des savoirs, les risques objectifs, les savoirs fragmentaires, …
- les modèles économiques en jeu (brevets, savoirs médicaux, …) avec le pendant politique (si autorisation, qui décide?)
- les droits de la personne en début et fin de vie
- les modèles normatifs (normes à appliquer) : la personne est "un tout non négociable", unité somatique et psychologique (corps et esprit indissociables).
D’où des questions centrales :
A quel niveau décider? comité d'éthique consultatif, politique, administratif, … ? Une référence sur le sujet est le livre L’avenir de la nature humaine de Jürgen Habermas, philosophe allemand, qui y développe son éthique de la discussion.
Comment justifier les choix? selon la nature thérapeutique ou non de l'acte :
- si un handicap est évité par l'utilisation de la génétique et la sélection d'embryon, l'acte pourrait se justifier si le consentement de la personne non née est présumé.
- par contre il ne se justifie pas si la visée est améliorative ou de « confort ». Exemple : avoir un enfant aux yeux bleus. Peut-être que les enfants n'auraient pas été d'accord, donc décision non souhaitable.

Veiller à l'éthique de la discussion.
La décision pourrait être prise en tenant compte du meilleur argument exprimé. Mais n'y a pas de vérité absolue et les discussions ne sont pas toujours sans arrière pensée. Il faut éviter de jouer avec le hasard par manque de réflexion. Les débats sont à plusieurs niveaux et à forte résonance religieuse (ou selon la propre représentation du monde de chacun).
Pour certains transhumanistes, toutes les maladies pourront un jour disparaître. L'homme intervient sur sa nature biologique. Est-ce le rêve d'un âge d'or où nous nous serions affranchis de tous les maux terrestres? Pourtant le désir du meilleur, de survivre est porté par nous tous. Est-ce le rejet d'une puissance divine qui conduit à aller jusqu'au bout de ses utopies? jusqu'à celui de l'immortalité? La mort, devenue de plus en plus une affaire privée et masquée (l'agonie ne doit pas être trop longue?), est associée à un matérialisme techniciste au risque d'un irréalisme absolu. Cela pose le problème du manque cruel de places dans les unités des soins palliatifs.
L'idée de métempsychose semble revenir avec les techno sciences : le but serait d'obtenir un corps immortel non altéré qui reste jeune et joli. N'est pas aussi rêver à un "parc doré" coupé du reste du monde (cf Règles pour le parc humain de Peter Sloterdijk )?
La pensée de Teilhard de Chardin peut-elle nous aider à penser le présent?
Teilhard a très bien perçu le problème de l'eugénisme en tant que scientifique. Pour lui, l'humanité   porte déjà en partie le meilleur par un eugénisme naturel de l’espèce. Il garde l'Amour au centre de sa réflexion, vise une personnalisation à l'opposé d'Alexis Carrel, auteur de L'homme cet inconnu, prix Nobel de médecine, qui désire "empêcher la propagation des fous et des plus faibles d'esprit" par un eugénisme sociétal et individuel.
L'eugénisme responsable doit avoir une vision d'ensemble, un espoir global, si non il aboutit à une vision réductionniste (l'homme en pièces détachées!). Il nécessite un effort d'humanisation en tenant compte des réalités, de la vie, de "l'énergie spirituelle" comme écrit Bergson dans L'évolution créatrice. Il s'agit d'arrangements réfléchis, d'une recherche commune vers nos responsabilités, où chacun a son "fardeau" héréditaire et social, en ne perdant pas le sens de l’humain.
Les solutions doivent être trouvées sans angélisme. Ainsi ne pas condamner a priori Google et ses objets de recherche mais mieux connaitre leurs intentions véritables.  Une véritable approche, à notre niveau, doit être systémique (globale) et laisser la place à la réflexion, aux échanges qui sont à réaliser sur les lieux concernés (ex : unités de soins palliatifs), en évitant la culture jacobine où les décisions viennent d'en-haut.
L'Eglise peut sur ce terrain avoir un rôle considérable. Pour faire progresser les débats avec sérénité, proposons de se mettre d'accord sur certains "segments", ou sur certaines règles provisoires, avant de reconsidérer les questions ultérieurement, lorsqu'on dispose de nouveaux éléments. Evitons les protocoles dictés par des instances supérieures sans subsidiarité. Les décisions éthiques  sont à prendre  avec une meilleure transparence. Exemple : pour la prise en charge de l'humain dans les espaces dédiés aux malades Alzheimer.
Pour le philosophe danois Peter Kemp, les principes fondamentaux sur la dignité des personnes constituent des éléments normatifs. Sa réflexion intègre une vision d'avenir, dans le projet d’une citoyenneté universelle.
De ce point de vue, une éthique de la fragilité, ou de la vulnérabilité, doit aider à réfléchir à la place laissée aux plus fragiles et à ce qu'ils apportent à la société. Une vision purement positiviste du droit cherchant à établir des protocoles internationaux court à l'échec si elle n’intègre pas les aspects sociaux et économiques, culturels et religieux.
En somme, si l'ONU n'était pas si faible, le pape ne serait pas la seule autorité morale d'envergure internationale contemporaine. Ainsi, toute réflexion éthique doit veiller à la recherche du bien commun. Nous ne sommes pas dans une fatalité. Le transhumanisme est un mouvement global avec de nombreuses variantes auquel il nous faut réfléchir sans oublier les dimensions éthiques et religieuses ( Mgr Pierre d'Ornellas, archevêque de Rennes, a écrit plusieurs publications sur le sujet dont Bioéthique Propos pour un dialogue ).




Prêtre assomptionniste, maître de conférences en philosophie à l’Institut Catholique de Paris, membre  de l'Académie Catholique de France, auteur de Une société de soins (Ed. de l’Atelier, 2011)