Compte
rendu de la conférence
Transhumanisme
- Eugénisme
de J.-F.
Petit*
le 17
mars 2017
Le transhumanisme bouscule les balises éthiques, nos représentations et
l'idée même de "l'essence de l'homme". Le but de cet exposé est de
comprendre et non de juger a priori.
Descartes évoquait l'homme maître et possesseur de la nature (Discours de la méthode). Le transhumanisme
est la prolongation de cet effort de maîtrise de la nature par les sciences et
les techniques (biotechnologie, neurotechnologie, eugénisme par sélection des
gènes, …). Il s'inscrit dans la tradition de la prise en main par l'homme de
son destin.
Les biotechnologies sont l'alliance de la biologie et des progrès
techniques. Elles concernent un grand spectre de domaines : médecine génétique,
conception de la vie, psychologie,
juridiction sur l'identité humaine, convictions religieuses, … La
famille, l'école, les autorités morales (églises, …) subissent les effets de ce
mouvement. Le thème est porteur.
Pour notre culture humaniste, est-ce une crise? Le transhumanisme est-il
une brèche, due à l'utilitarisme actuel dont le but serait d'améliorer, de
réparer l'humain? Même la conception de l'espèce humaine est revue. On peut faire remonter une partie de
l’origine de ces idées au choc de la Seconde Guerre Mondiale : le grand
penseur scientifique, Albert Einstein, évoque l'extermination scientifique de
l'homme, Bertrand Russel l'holocauste nucléaire, Konrad Lorenz l'autodestruction
écologique. Merleau-Ponty avait perçu la possibilité de clonage dès cette
époque.
Les débats parfois passionnés et difficiles, où sciences et
philosophie sont concernées, engendrent deux attitudes :
- une implicite :
laisser-faire tout ce que la science peut réaliser,
- l'autre consiste à raisonner uniquement
en "permis/défendu".
La première attitude revient à laisser agir le progrès, devenu un objet d'admiration sans borne. Elle est
défendue par certains scientifiques.
La deuxième considère le risque de créer des monstres. Mais tout bloquer
n'est pas propice pour avancer. On peut aboutir alors à une diabolisation
inconséquente des changements.
D'autres penseurs
distinguent "réparer" et "améliorer". Réparer à quel
prix? jusqu'où aller? vivre 120 ans? dans quel idéal? avec une retraite de 60
ans? Certains athlètes ont décuplé leurs performances avec des prothèses
sophistiquées à la place des jambes. Ils ont marqué l’opinion. Cela nous pose
question et impacte nos représentations. La distinction "réparer-améliorer"
n'est pas simple.
L'utopie amélioriste est aujourd'hui portée
par des sociétés aux intérêts financiers conséquents (Google, …). Elles
occupent un vide idéologique (fin des idéologies politiques, du « grand
soir »). Leur programme de recherche est précis et clair : la mort devient
d’abord un obstacle à résoudre.
Cela est aussi un débat entre technophiles et technophobes. Attention à
l'utilisation du principe de précaution !
Ce débat porte sur la nature des désirs des décideurs.
Tout
semble reposer sur l'idée de vouloir maîtriser
le devenir. Mais il faut aussi une interrogation plus large concernant :
- la nature des
savoirs, les risques objectifs, les savoirs fragmentaires, …
- les modèles
économiques en jeu (brevets, savoirs médicaux, …) avec le pendant politique (si
autorisation, qui décide?)
- les droits de
la personne en début et fin de vie
- les modèles normatifs (normes à appliquer) : la personne est "un
tout non négociable", unité somatique et psychologique (corps et esprit
indissociables).
D’où des questions centrales :
A quel niveau décider? comité d'éthique
consultatif, politique, administratif, … ? Une référence sur le sujet est le
livre L’avenir de la
nature humaine de Jürgen Habermas, philosophe
allemand, qui y développe son éthique de la discussion.
Comment justifier les choix? selon la
nature thérapeutique ou non de l'acte :
- si un handicap
est évité par l'utilisation de la génétique et la sélection d'embryon, l'acte
pourrait se justifier si le consentement de la personne non née est présumé.
- par contre il
ne se justifie pas si la visée est améliorative ou de « confort ». Exemple : avoir un enfant aux yeux bleus.
Peut-être que les enfants n'auraient pas été d'accord, donc décision non
souhaitable.
Veiller à l'éthique de la discussion.
La décision pourrait être prise en tenant compte du meilleur argument
exprimé. Mais n'y a pas de vérité absolue et les discussions ne sont pas toujours
sans arrière pensée. Il faut éviter de jouer avec le hasard par manque de
réflexion. Les débats sont à plusieurs niveaux et à forte résonance religieuse
(ou selon la propre représentation du monde de chacun).
Pour certains transhumanistes, toutes les maladies pourront un jour disparaître.
L'homme intervient sur sa nature biologique. Est-ce le rêve d'un âge d'or où
nous nous serions affranchis de tous les maux terrestres? Pourtant le désir du
meilleur, de survivre est porté par nous tous. Est-ce le rejet d'une puissance
divine qui conduit à aller jusqu'au bout de ses utopies? jusqu'à celui de l'immortalité?
La mort, devenue de plus en plus une affaire privée et masquée (l'agonie ne
doit pas être trop longue?), est associée à un matérialisme techniciste au
risque d'un irréalisme absolu. Cela pose le problème du manque cruel de places
dans les unités des soins palliatifs.
L'idée de métempsychose semble revenir avec les techno sciences : le
but serait d'obtenir un corps immortel non altéré qui reste jeune et joli. N'est
pas aussi rêver à un "parc doré" coupé du reste du monde (cf Règles pour le parc humain de Peter
Sloterdijk )?
La pensée
de Teilhard de Chardin peut-elle nous aider à penser le présent?
Teilhard a très bien perçu le problème de l'eugénisme en tant que
scientifique. Pour lui, l'humanité porte déjà en partie le meilleur par un
eugénisme naturel de l’espèce. Il garde l'Amour au centre de sa réflexion, vise
une personnalisation à l'opposé d'Alexis Carrel, auteur de L'homme cet inconnu, prix Nobel de médecine, qui désire
"empêcher la propagation des fous et des plus faibles d'esprit" par
un eugénisme sociétal et individuel.
L'eugénisme responsable doit avoir une vision d'ensemble, un espoir
global, si non il aboutit à une vision réductionniste (l'homme en pièces
détachées!). Il nécessite un effort d'humanisation en tenant compte des
réalités, de la vie, de "l'énergie spirituelle" comme écrit Bergson
dans L'évolution créatrice. Il s'agit
d'arrangements réfléchis, d'une recherche commune vers nos responsabilités, où
chacun a son "fardeau" héréditaire et social, en ne perdant pas le
sens de l’humain.
Les solutions doivent être trouvées sans angélisme. Ainsi ne pas
condamner a priori Google et ses objets de recherche mais mieux connaitre leurs
intentions véritables. Une véritable approche,
à notre niveau, doit être systémique (globale) et laisser la place à la
réflexion, aux échanges qui sont à réaliser sur les lieux concernés (ex :
unités de soins palliatifs), en évitant la culture jacobine où les décisions
viennent d'en-haut.
L'Eglise peut sur
ce terrain avoir un rôle considérable. Pour faire progresser les débats avec sérénité,
proposons de se mettre d'accord sur certains "segments", ou sur
certaines règles provisoires, avant de reconsidérer les questions
ultérieurement, lorsqu'on dispose de nouveaux éléments. Evitons les protocoles
dictés par des instances supérieures sans subsidiarité. Les décisions
éthiques sont à prendre avec une meilleure transparence. Exemple : pour la prise en charge de
l'humain dans les espaces dédiés aux malades Alzheimer.
Pour le philosophe danois Peter Kemp, les principes fondamentaux sur la
dignité des personnes constituent des éléments normatifs. Sa réflexion intègre une
vision d'avenir, dans le projet d’une
citoyenneté universelle.
De ce point de vue, une éthique de la fragilité, ou de la vulnérabilité,
doit aider à réfléchir à la place laissée aux plus fragiles et à ce qu'ils
apportent à la société. Une vision purement positiviste du droit cherchant à
établir des protocoles internationaux court à l'échec si elle n’intègre pas les
aspects sociaux et économiques, culturels et religieux.
En somme, si l'ONU n'était pas si faible, le pape ne serait pas la seule
autorité morale d'envergure internationale contemporaine. Ainsi, toute
réflexion éthique doit veiller à la recherche du bien commun. Nous ne sommes
pas dans une fatalité. Le transhumanisme est un mouvement global avec de
nombreuses variantes auquel il nous faut réfléchir sans oublier les dimensions
éthiques et religieuses ( Mgr Pierre d'Ornellas, archevêque de Rennes, a écrit plusieurs publications sur le
sujet dont Bioéthique Propos pour un
dialogue ).
* Prêtre assomptionniste, maître
de conférences en philosophie à l’Institut Catholique de Paris, membre de l'Académie Catholique de France, auteur de Une société de soins (Ed. de l’Atelier, 2011)